Léon Tolstoï (1828-1910)
Révolté par le despotisme tsariste, Tolstoï éprouvait une haine farouche envers le pouvoir étatique et toutes les formes de gouvernement. Tolstoï partage le point de vue de Proudhon: il ne pense pas que l'Etat soit une chose nécessaire qui soit indispensable à l'humanité.Tolstoï n'était pas loin de considérer les dirigeants politiques comme une bande de fainéants et de malfaiteurs.Il était fermement persuadé que l'ignorance du peuple russe était entretenue par les classes dirigeantes, avec la complicité de l'Eglise.
Au cours de la seconde partie de sa vie Tolstoï deviendra résolument antimilitariste. Dans son chef d'oeuvre Guerre et Paix Tolstoï développe une philosophie de l'histoire qui nous fait voir que , dans le déroulement des grands événements on a toujours tendance à accorder trop d'importance au rôle des grands personnages, chefs militaires ou dirigeants politiques , sans se rendre compte que le véritable sujet de l'histoire , c'est le peuple, par son abnégation et par son héroïsme muet. C'est ainsi que Napoléon lui semble un simple jouet du destin, une marionette dont on a démesurément exagéré l'importance. En fait n'eût-il pas existé , quelqu'un d'autre serait apparu à sa place. Pour Tolstoï, c'est bien la masse populaire, l'âme des simples, des obscurs, des sans-grade- et plus précisément , dans son esprit, l'innombrable peuple russe- qui représente le facteur historique essentiel et décisif. Le peuple russe, c'est quelqu'un.
Autour de l'oeuvre de Tolstoï , existe un anarchisme chrétien . Malgré tout le confort d'une existence de propriétaire terrien , Tolstoï s'était senti gagné par un sentiment d'incomplétude et s'était abandonné au milieu de sa vie à une quête mystique qui l'entraîna, durant deux années, à une pratique religieuse assidue.On verra Tolstoï renoncer à n'être qu'un homme de lettres , pour chercher à vivre selon l’Évangile, prêchant la non-violence et, à la fin de sa vie , ne voulant plus écrire que pour les moujiks. Après sa conversion, il prêche la religion du Christ en la dépouillant de ses mystères et de ses dogmes. Un certain fonds de paganisme lui faisait croire en la possibilité toute terrestre du bien.Il pense que la terre, élément naturel au même titre que le soleil, les fleuves ou la mer, ne doit être la propriété de personne. Il s'accorde avec Proudhon pour voir dans la propriété un vol. Il juge la propriété incompatible avec le christianisme. Dans l'enseignement de Jésus , il a surtout retenu la doctrine selon laquelle seuls les pauvres et les déshérités seront sauvés. Tolstoï a été attiré toute sa vie par le peuple, par les paysans, mais n'a jamais réussi à trouver le vrai contact avec les simples.
Tolstoï est proche de la théorie anarchiste de la nature et du caractère composé des forces collectives. Selon lui pour vivre heureux il suffit en premier lieu , de vivre en communion avec la nature, donc à la campagne si on en a la possibilité. Aux yeux du riche boyard qu'il a été , le confort n'apparaissait pas comme une condition du bonheur.Pour l'anarchisme qui l'habite , l'être humain et l'humanité ne sont pas distinct de la nature qui les entoure et qui les traverse . Ce sont des composés de forces physiques , organiques , psychiques , éthiques qui commandent toutes les idées que nous pouvons avoir. L'anarchisme de Tolstoï peut à la fois être éloigné de toute religion et proche de certaines dimension des pratiques et perceptions religieuses. Comme expériences globales et universelles inscrites par leur genèse, dans un rapport au monde non séparé, les religions n'ont en effet pas seulement donné naissance à des églises et des dogmes mais conservent également un rapport au monde , généralement qualifié de "mystique" immanent à la réalité et aux possibles dont le réel est porteur et qui en court-circuitant les prêtres, les dogmes, les rites et toutes les instances prétendant parler au nom de la divinité, s'efforce d'exprimer directement , sans intermédiaires, par l'action directe, les forces et les possibles que nie l'ordre établi.
