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23 mai 2020 6 23 /05 /mai /2020 15:26
Georges Gurvitch (1894-1965)

Georges Gurvitch (1894-1965)

Né en Russie en 1894 ,Gurvitch vit la révolution russe où il rencontre Lénine à qui il adresse de vives critiques.  Philosophe de formation , il se dirige peu à peu vers la sociologie tout en restant marqué par l'oeuvre de Proudhon à qui il consacra un livre à la fin de sa vie  . Ses réflexions prennent leur essor au début des années 1930 alors que la crise de 1929  plus qu'une crise économique , apparaît comme une grave crise de civilisation. Renvoyant dos à dos capitalisme et communisme , Georges Gurvitch développe les bases jetées par Proudhon pour concevoir une économie fédérale , auto gestionnaire et égalitaire. Gurvitch développe une philosophie pluraliste en distinguant le pluralisme comme fait , le pluralisme comme idéal et comme technique . Il remet en cause la prétention de l'Etat à incarner l'intérêt général. Au terme controversé d'intérêt général Gurvitch préfère celui d'intérêt commun . Dans une structure centralisée , les décisions et donc les responsabilités relèvent essentiellement du sommet. Dans une structure fédérale , l'autonomie des groupes constituants ( commune, régions, ateliers, syndicats...) se retrouve  à tous les niveaux , de manière à ce que les décisions et les responsabilités soient réparties à hauteur d'homme.Le pouvoir fédéral n'intervient ainsi qu'en tant que pouvoir subsidiaire, lorsque les problèmes dépassent le domaine de compétence des sous-groupes fédérés.Le fédéralisme , politique ou économique est toujours plus qu'un contrat , il est une institution stable qui mène une vie juridique propre , distincte des relations entre ses membres et réglée par son propre droit autonome, le droit social de la totalité qu'elle constitue . Après la Seconde Guerre mondiale, Gurvitch rédige une déclaration des droits sociaux dont il espère qu'elle pourra constituer la matrice de la Révolution permettant la renaissance nationale. Cette déclaration doit s'inscrire dans la lutte pour la démocratie. La thèse de Gurvitch sur l'idée du droit social , datant de 1932, avait déjà constitué une machine de guerre contre la conception individualiste du droit:" Rien n'a peut-être nui davantage au renouvellement positif de la raison juridique que le préjugé profondément enraciné du caractère essentiellement individualiste du droit." Cette philosophie moniste qui se décline de l'Iindividu à l'Humanité en passant par l'Etat sur le mode d'une abstraction générale a perpétuellement nié la dimension fondamentalement pluraliste et concrète du droit qui permet le développement de la liberté et de la justice grâce à une certaine articulation du tout et des parties. Les critiques de la philosophie individualiste du droit, d'Auguste Comte à Marx en passant par Saint-Simon ou Schelling en voulant restaurer le principe de totalité ont ainsi rejeté purement et simplement le droit en méconnaissant ses sources véritables.

Le droit social n'est pas un droit lié à la politique de l'Etat qui serait censé consacrer son rôle interventionniste dans l'économie . Chaque être collectif possède la capacité d'engendrer son propre ordre juridique autonome réglant sa vie intérieure. Il existe différents ordres du droit qui ne se réduisent pas à la simplification moniste de l'Etat , ce qui permet à Gurvitch de qualifier le droit social tel qu'il l'entend de "Droit d'intégration". "Le droit social est le droit autonome de communion par lequel s'intègre d'une façon objective chaque totalité active, concrète et réelle incarnant une valeur positive , droit d'intégration aussi distinct du droit de coordination ( ordre de droit individuel) que du droit de subordination, seuls reconnus par les systèmes de l'individualisme juridique et de l'universalisme unilatéral.Le droit social , en tant que droit d'intégration , ne peut se comprendre que si l'on admet que l'être social irréductible à la somme de ses membres , n'a pas besoin de se constituer en unité transcendante et extérieure: " chaque groupe social est, dans son idéal , une totalité immanente concrète et dynamique, qui n'admet ni son hypostase en une entité simple, ni sa dissolution dans un assemblage d'individus dispersés, dont le seul lien serait leur soumission à une même loi abstraite."

Dans la lignée de Proudhon, la Justice pour Gurvitch consiste à harmoniser, à permettre l'équilibre des antinomies. Elle sert d'intermédiaire entre l'idéal moral ( qui suppose la synthèse harmonieuse de l'universel et du particulier) et la réalité empirique ( qui est empreinte de conflits). Gurvitch distingue la règle de droit , qui est multilatérale, de la règle morale , qui est unilatérale. Le règle de droit engage toujours les différentes parties par une relation de droits et de devoirs, contrairement à la règle morale qui ne nécessite pas de réciprocité. La règle de droit est liée à des cas concrets et est assez précise pour permettre cette relation de droits et de devoirs, contrairement à la règle morale. La règles morale "ne tue pas" , par exemple , s'applique indistinctement , quelle que soient les situations , tandis que la règle de droit énumère les cas où il est possible de tuer ( cas de légitime défense, de guerre...) . L'interdépendance des devoirs et des prétentions réciproques forme dans son enchevêtrement l'ordre social.C'est l'enchevêtrement des réciprocités juridiques , supposant la réalité des autres mois , en tant que centres de prétentions et des devoirs interdépendants,  qui donne au droit en général le caractère d'un phénomène essentiellement lié à la vie sociale.Le droit n'est pas nécessairement sanctionné par une contrainte. Le droit social n'est pas non plus nécessairement lié à l'Etat. Gurvitch distingue neuf sources formelles applicables à la constatation du droit social: la coutume, la convention, le statut autonome, la pratique des tribunaux non étatiques ( arbitraux, syndicaux et autres) , la pratique des organes non judiciaires, la doctrine, le précédent, la déclaration sociale et la reconnaissance. Ces sources sont autant d'éléments qui vont permettre de réaliser une société autonome débarrassée de l'aliénation par la propriété privée ou la propriété d'Etat.

"Ce n'est pas en vain que Proudhon parlait de plagiat perpétuel entre le libéralisme individualiste et le communisme ; il consiste justement dans la même impossibilité pour les deux adversaires de concevoir l'institution de la "propriété fédéraliste", qui appartient à des sujets collectifs complexes et qui est fondée sur la liaison du droit individuel de propriété par le droit social du "tout" que forment les propriétaires communs du patrimoine" "La propriété oblige : elle doit être considérée dans toutes ses formes comme la fonction sociale." Dès lors , il est question d'une propriété sociale qui est détenue par l'Organisation  Nationale Economique, les Organisations Economiques Régionales et les industries qui en font partie , les coopératives de consommation et de production , les syndicats professionnels ainsi que les banques et caisses d'assurance qui sont intégrées à l'Organisation Economique.En ce sens la propriété sociale a un caractère fédéral . Elle ne peut être confisquée par l'Etat et ne peut être rachetée par lui sans le consentement des co-propriétaires et du Conseil National Economique.

Pour Gurvitch la propriété doit être socialisée et non privatisée ou étatisée, ce afin de dépasser la fausse alternative du capitalisme et de communisme ou socialisme d'Etat. Il s'agit de concevoir une économie fédérale , démocratique et planifiée sans pour autant que le marché disparaisse. L'économie planifiée et l'économie de marché doivent être pensées selon une dialectique qui trouve son origine dans la dialectique sérielle de Proudhon. Gurvitch insiste sur l'organisation et la démocratisation de la planification allant de pair avec la philosophie pluraliste et les principes du fédéralisme. L'économie fédéraliste permet de répondre à la fois aux exigences de justice sociale et de liberté en tendant à la prise en compte de l'homme dans toutes ses dimensions , notamment sa condition politique, en tant que citoyen, et économique , en tant que producteur et consommateur. Dans une économie fédérale le politique et l'économique ne sont pas strictement séparés, relevant tous deux d'un projet commun, celui du fédéralisme intégral .

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